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Entre simples blagues et harcèlement au travail : comment s'y retrouver?



Blague : « Histoire inventée à laquelle on essaie de faire croire. Farce, plaisanterie. Erreur, maladresse. »[1]


Parce qu’elles contribuent à rendre le milieu de travail plus amical et détendu, les blagues sont fréquentes entre collègues ou même entre employés et supérieurs. Cependant, peu importe l’environnement de travail ou les caractéristiques de l’organisation, les blagues qui dérapent, ou même de simples plaisanteries répétées et présentées en toute bonne foi peuvent parfois (et souvent à l’insu de leur auteur) porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité d’une personne, contribuant ainsi à la création d’un milieu de travail néfaste pour celle-ci.


Les blagues, l’humour… et le harcèlement : Comment les distinguer?


Afin de déterminer si des blagues de mauvais goût et des plaisanteries constituent du harcèlement psychologique, nous devons examiner les conditions habituelles prévues par l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail Loi »). Chaque cas est un cas d’espèce, mais afin de cibler la nuance entre une blague qui est agréable et qui détend l’atmosphère, de celle qui peut être constitutive de harcèlement psychologique, nous proposons les indicateurs suivants émanant de la jurisprudence :

  • Les tribunaux sont plus sévères eu égard aux blagues à connotation sexuelle. En effet, plusieurs décisions ont conclu à du harcèlement psychologique dans le contexte de personnes qui émettaient des propos sexuels « pour rire », ou encore, de ceux qui invoquaient « à la blague » des propositions de faveurs sexuelles. À titre d’exemples :

    • Un monteur de portes et fenêtres est victime de blagues qu’il juge comme étant anodines au tout début. Les blagues de ses collègues sont très vulgaires, dirigées vers les expériences sexuelles personnelles du plaignant et répétées. Au fil du temps, il ressent une humiliation en raison des plaisanteries subies. Sa stratégie est d’abord de se taire et d’ignorer ses collègues, ce qui ne fera malheureusement pas cesser leurs comportements farceurs. [2]

    • Une serveuse dans une brasserie se fait « niaiser » par son gérant du fait qu’elle a entrepris des études en massothérapie. Il lui demande si elle reçoit souvent des demandes de massages sexuels et il dit à la blague qu’il aurait bien besoin d’un massage à l’aine. La plaignante a déjà confié à son gérant qu’elle se sentait humiliée et dégradée qu’il associe son métier aux massages sexuels et lui demande de cesser ses commentaires, mais ce dernier continu.[3]

    • Une serveuse dénonce les blagues humiliantes de plusieurs collègues. Alors qu’elle est au travail, elle demande au cuisinier de lui passer un pot de confiture, lequel répond à la blague qu’il le lui donnera en échange de faveurs sexuelles. À une autre date, un serveur lui propose une sortie dans un restaurant chic et d’un ton sarcastique, il lui dit qu’ils pourront se coller et être au chaud.[4]

  • Aussi, plus les blagues sont répétées et constantes, même si elles peuvent paraitre anodines, plus elles ont de chances de se transformer en harcèlement psychologique. À titre d’exemple, dans une affaire relativement récente, le plaignant est surnommé « la momie » ou « le mort » en moyenne deux fois par jour, soi-disant pour rigoler, faisant référence au fait qu’il travaillerait lentement. De plus, son supérieur se moque de ses vêtements et rit à plusieurs reprises de sa nourriture, qu’il qualifie de « nourriture pour les cochons ».[5]


Farceurs ou blagueurs, vous avez droit à l’erreur, mais vos moyens de défense sont limités…


Rappelons que dans certaines situations le harcèlement peut découler d’une seule conduite grave. Qu’en est-il de ce concept dans le contexte d’une blague? Suivant nos recherches, nous n’avons répertorié aucune illustration jurisprudentielle qui a conclu qu’une blague ou une farce pouvait constituer une seule conduite grave. Bien que nous n’excluions pas que cela soit possible, il faudrait que la blague soit socialement intolérable ou d’une gravité manifeste, qu’elle ait porté atteinte à la dignité ou à l’intégrité de la personne plaignante et qu’elle ait produit un effet nocif continu. En effet, la plainte pour harcèlement n’a pas été retenue dans un contexte au cours duquel un superviseur, lors d’un cocktail professionnel durant la période des Fêtes, énonce des propos déplacés sur l’apparence de la personne plaignante. Entre autres, il pointe une collègue et lui dit que son chemiser serait beaucoup trop petit pour la personne plaignante, insinuant qu’elle a un surplus de poids.[6] Ainsi, il ressort de notre analyse que le fait qu’une blague soit vulgaire ou de mauvais goût ne permet pas en soi qu’elle soit classée comme étant du harcèlement psychologique.


Certains farceurs pourraient être tentés de soulever qu’il est monnaie courante dans leur milieu de faire des blagues et donc, que c’est une question de culture d’entreprise et qu’en conséquence, ce type de comportement est toléré ou accepté par l’employeur. Il ressort de la jurisprudence récente que le contexte, le type de milieu de travail et la culture de l’entreprise peuvent être considérés, mais que ces facteurs ont leurs limites dans le cadre de l’analyse globale de la situation. L’arbitre Provençal mentionnait ceci dans une sentence arbitrale de 2019 :

« La culture de blagues entre collègues de travail n’est certes pas exclusive au milieu policier. Cette culture est présente dans tous les milieux de travail et elle s’exprime selon l’environnement de travail. Il n’est pas nécessaire d’être un expert en la matière pour comprendre que le tirage de pipe ou blagues se manifeste différemment entre des employés de bureau et des travailleurs sur un chantier de construction. Toutefois, l’expression de cette culture a des limites et ce, peu importe le milieu de travail, en ce qu’elle doit respecter les lois d’ordre public comme celles qui interdisent le harcèlement psychologique ou encore qui protègent la santé et sécurité des travailleurs. »[7]

De plus, dans une décision récente[8], le Tribunal administratif du travail rappelle que même si des blagues osées et à caractère sexuel sont émises dans un restaurant où la consommation d’alcool est abondante et où l’ambiance est festive, cela ne justifie pas de dénigrer ou d’humilier un employé.


Cependant, si une personne plaignante participe activement aux tours et aux plaisanteries qui se font sur les lieux du travail, le tribunal y portera une attention particulière. En effet, dès lors qu’une personne plaignante participe aux blagues, se moque et a un comportement similaire à la personne mise en cause, le tribunal risque de rejeter la plainte.[9]


Quoi retenir pour les gestionnaires et les représentants des ressources humaines?


Nul doute que les blagues et plaisanteries savent stimuler un milieu de travail et rendre l’atmosphère plus détendue. Le sentiment de plaisir est même un facteur non négligeable de la satisfaction au travail.


Cependant, tout employeur doit être vigilant et s’assurer que lesdites blagues sont drôles pour tout le monde. En outre, le niveau de tolérance de chacun étant variable en fonction notamment de ses caractéristiques personnelles, de ses valeurs et de ses expériences passées, il peut être ardu de déceler si les blagues sont appréciées par les personnes visées ou non. Pour ces raisons, un employeur doit se montrer prudent et intervenir rapidement pour toute blague à connotation sexuelle ou s’il constate qu’une personne fait l’objet de blagues répétées incluant l’emploi de surnoms.


Il est également pertinent de rappeler qu’en matière de harcèlement psychologique, l’intention à la base d’une conduite ou de paroles n’est pas pertinente. Ainsi, lorsque vous faites face à une personne plaignante qui se dit être la cible de blagues non désirées, le fait que l’auteur desdites blagues ait simplement voulu rire ou s’amuser ne devrait pas influencer vos décisions de gestion.


[1] https://dictionnaire.lerobert.com/definition/blague. [2] Lachapelle-Welman et 3233430 Canada inc. (Portes et fenêtres ADG), 2016 QCTAT 3557. [3] Boivin c. 6453872 Canada inc., 2022 QCTAT 261. [4] I.M. c. Bar A, 2020 QCTAT 2343. [5] Pérez c. 9345-0195 Québec inc., 2020 QCTAT 4530. [6] Duclos c. Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc., 2015 QCCRT 262. [7] Fraternité des policiers et policières de Montréal c. SPVM (Ville de Montréal), 2019 QCSAT 47837, au para.71. [8] Boivin c. 6453872 Canada inc., 2022 QCTAT 261. [9] Gagnon c. O Pano 105 (2018), 2022 QCTAT 13.

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